samedi 5 décembre 2009

Otobong Nkanga, artiste plasticienne



Elle ressemble à ceci...                                                                                   oui... cette photo est… disons… une image assez juste de la jeune femme que j’ai rencontrée, il y a un an, à Las Palmas. Elle était venue exposer son travail à la Casa Africa. Il s’est passé cette chose qui arrive parfois, vous savez bien : on regarde une personne et on est persuadé que l’on a dû se rencontrer déjà, se connaître peut-être dans l’une de nos vies antérieures. On se reconnaît.
J’ai reconnu aussi son travail et je l'ai apprécié. Un travail pourtant pas facile a priori. Un travail exigeant, qui demande que l’on sorte un peu de soi-même pour comprendre pourquoi on est touché...
Quelques mois plus tard, Otobong m’a appelée pour me demander de lui écrire un texte pour un livre.
Vous trouverez le texte ci-dessous, mais surtout, allez voir son travail, si elle (s’)expose là où vous êtes. Sinon, prenez au moins la direction de son site (www.otobongnkanga.com) et vous m’en direz des nouvelles...

« Entrons dans le monde d’Otobong
Un visage aux lignes pures, une auréole de cheveux courts, et ce sourire comme une botte secrète : assurément, Otobong Nkanga a du charme. Son sens du contact et sa générosité évidente se propagent comme autant d’invitations à faire sa connaissance. On pressent chez elle le goût pour l’échange et le partage, l’habitude du cosmopolitisme… Je viens du Sud, je vis au Nord, je peux vivre partout où les hommes vivent… Pourtant, lorsque l’artiste en elle se met au travail, son sourire s’efface, son regard, droit, se concentre et Otobong se tourne vers l’intérieur d’elle-même, vers les souvenirs de son enfance blessée. 


En 1978, elle a vu la maison familiale se consumer sous les flammes. Accident tragique et terrifiant pour la petite fille de quatre ans qu’elle était, qui ôte alors la vue à son ours en peluche en lui arrachant les yeux. Le frère cadet d’Otobong, un moment piégé par le feu, sera heureusement sauvé grâce à l’intervention héroïque de voisins anonymes. Une nouvelle vie commence après le paradis d’enfance. La famille est obligée de déménager, de se faire à la vie en appartement dans un immeuble où la cohabitation est synonyme de mésententes, de disputes, de nuisances sonores… Il faut dire adieu au petit paradis sur pilotis d’où l’on pouvait dominer l’espace et observer à loisir le balancement tranquille des palmiers. Black out. Le monde s’assombrit. Quatre ans plus tard, quand le père d’Otobong disparaît, emporté par une maladie, la fillette bascule dans une nouvelle appréhension des choses : la violence est devenue une menace, présente même quand on ne la pressent ou ne la voit pas.


Aujourd’hui, devenue plasticienne, Otobong Nkanga observe la forme de ses cicatrices intimes et les suit comme on suit du doigt une trace, le long d’un mur, jusqu’à la tache, beaucoup plus large, à laquelle elle conduit. Tel est l’itinéraire de son inspiration : de l’autobiographique au social, de la blessure personnelle à la violence du monde. Et c’est ainsi que, dans ses dessins et ses tableaux, le tourbillon de la vie se met à charrier des arbres sans branches, des êtres sans têtes, du pétrole en flammes, des travailleurs aux mille bras, soumis quoi qu’ils fassent, à l’exigence prégnante des machines, des sauveteurs  que l’on aimerait remercier, mais dont on ignore le nom et oublie le visage… car la mémoire aussi, par ses irrégularités, provoque des meurtrissures.


Pourtant, si vous souhaitez en savoir plus sur Otobong, un bon conseil : n’entamez pas la conversation avec elle en lui demandant d’où elle vient. Ne cherchez pas à établir avant toute chose le lien entre son travail et ses origines : ce serait une maladresse, une vision trop réductrice car ce qui intéresse cette artiste est bien plus encore sa destination que son itinéraire. Où allons-nous, nous, les hommes et les femmes de cette Terre ? Prenez votre temps. Laissez-la parler. Elle évoquera d’elle-même son Nigeria natal et sa complexité, la ville de Kano puis l’université Obafémi Awolono d’Ifé où elle a démarré ses études… scientifiques. Elle vous dira ensuite comment son talent pictural fut remarqué par une femme, professeur d’arts plastiques, figure-clé d’une trajectoire non programmée qui amènera par la suite Otobong sur les bancs de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-arts à Paris, puis de l’Académie royale des Arts d’Amsterdam. Nigeria, France, Pays-Bas, Belgique où elle s’est récemment installée : Otobong se veut ouverte au monde. Pas à pas, elle ouvre les yeux sur ce qui nous entoure et explore en peignant, dessinant, sculptant, photographiant, et encore en “performant” des installations de mille et une manières pour rendre compte de la façon dont retentit en elle notre monde en perpétuel changement.


On éprouve une sensation très particulière en découvrant le travail de Otobong Nkanga : l’impression d’être au seuil d’un mystérieux univers. Il faut se laisser faire, accepter de pénétrer dans un monde surréel et onirique pour l’entendre petit à petit résonner en soi. La tâche est attirante, mais néanmoins difficile car les images, froides, semblent recouvertes d’un filtre, comme une paroi de verre, transparente et solide, comme si l’artiste, nous plaçant à distance, voulait montrer la violence tout en nous en protégeant. N’espérez donc pas être pris par la main et comprendre les choses au premier coup d’œil : le monde d’Otobong ne se livre pas facilement. Si chez elle, les nuages de l’inquiétude deviennent des bulles d’un noir intense, de nombreuses autres images conservent leur sens secret. Il vous faudra faire seul le trajet imaginaire entre ce que suggèrent les titres des œuvres et ce qu’elles offrent à voir. Partout, dans chaque image, sourd la complainte d’un système dur, froid et fort qui agresse les humains autant qu’ils l’agressent à leur tour.


Chaque dessin d’Otobong Nkanga est aussi une alerte. Que deviennent les hommes lorsque, esclaves du travail, ils doivent multiplier leurs bras et leurs têtes pour répondre à la demande d’une production sans fin ? Que deviennent les forêts et les arbres lorsque des mains les percent, les découpent et les détaillent ? Que devient l’eau lorsque nous polluons ou anéantissons nos réservoirs naturels ? Faire individuellement le travail de cinq personnes, se retrouver seul dans un paysage désolé, mettre à mort notre propre vie et notre propre Terre parce qu’on y est poussé par un acharnement cyclique et insensé… voilà ce qui guette l’humanité et voilà sans doute ce que Otobong souhaite nous faire entendre. Ses dessins poussent des cris. Oubliée l’Afrique des voyages, des safaris touristiques ou des documentaires animaliers : notre Terre-mère traverse un moment critique et l’artiste met l’accent sur l’urgence qu’il y a désormais, à mettre en parallèle le sort de l’Afrique et le devenir du monde entier. Faire l’économie du spectacle d’un continent disloqué est impossible : le désastre est imminent et la paroi de verre retenant l’explosion ne tardera pas à voler en éclats. Restons vigilants et attentifs au regard sans concession d’Otobong Nkanga. Entrons dans son monde : cette artiste, femme-miracle audacieuse et engagée, sollicite ardemment notre attention ».





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