Ousmane prit son temps pour tourner ses paroles
Puis relevant la tête après ce protocole
Il lança un « bonjour », d’abord, comme leçon
Afin que l’autre pût se mettre à l’unisson.
« Grâce à toi j’ai grandi, je suis un Grand Quelqu’un
D’avenir avant toi je n’en avais aucun
Et je suis très heureux d’avoir pu partager
Ces ventes audacieuses jamais espérées
Qui ont fait progresser mon peuple autant que moi
Et qui feront changer les choses pas à pas.
Ce n’est donc pas à toi que je dirai combien
Lire est un acte fort et comparable à rien.
Il fait grandir en nous l’intelligence humaine
Et nous aide à penser n’importe quel domaine.
Grâce aux livres j’ai pu et grâce aux magazines
M’abreuver à cette eau si belle et cristalline
Et gagner grandement de quoi vivre ma vie
Sans plus me soucier de seule survie.
Mais j’ai depuis longtemps atteint le bleu du ciel
Et même plus encore, et le différentiel
Me paraît un énorme don, une vraie grâce
Essaye donc un peu de te mettre à ma place
Tu comprendras alors qu’il ne faut demander
Aux dieux que ce qu’ils peuvent sans outrepasser
La raison, la folie, la dinguerie des hommes
Qui veut que toujours plus en argent on consomme.
Je suis heureux ami, alors comprends-le donc
Et brisons là nos chaînes et contrats sans façon.
Nous resterons amis et nous pourrons sans doute
Jouir de la vie en restant à l’écoute
L’un de l’autre ici ou dans ton pays là-bas,
Où je compte venir en visite d’Etat ! »
Il éclata de rire à sa plaisanterie
Mais debout le Français le regardait contrit.
« Je ne suis pas l’ami d’un prétendument frère
Qui abandonne en route son ami libraire
Et le laisse venir de son lointain pays
Pour lui apprendre tard qu’au fond il l’a trahi.
Adieu ! Je ne veux plus jamais affaire ici passer
Ni contrats, ni accords, ni projets préparer
Tu m’as déçu Ousmane et tous les Maliens
Persona non grata seront donc chez les miens ! »
Il écumait de rage alors que son ami
Le regardait avec surprise, abasourdi.
« Voilà donc bien les Blancs, les Français, les libraires,
Toute cette engeance-là est faite de faux frères
Et si notre amitié ne tenait qu’à l’argent
Alors de la casser vraiment il était temps. »
Ces propos très amers, il les garda pour lui
En son cœur ils restèrent mais le rendirent aigri
Il garda ses distances face à l’étranger
Qui de l’argent avait voulu lui faire goûter
Comme d’une boisson à nulle autre pareille
Quand c’était une drogue aussi que l’on surveille.
Libraire rentra furieux et reprit au long cours
Ses perspectives de vente et de « bonheur… un jour ! »
Tandis que le Malien profitait de la vie
De ses plaisirs joyeux, merveilleux à l’envie
Et de ces minuscules et heureuses grâces
Qu’offrent aussi à chacun les bons moments qui passent.
(Fin)
© Kidi Bebey