mercredi 29 mai 2013

Ousmane le Malien (conte moderne, IV)


Ousmane prit son temps pour tourner ses paroles
Puis relevant la tête après ce protocole
Il lança un « bonjour », d’abord, comme leçon
Afin que l’autre pût se mettre à l’unisson.
« Grâce à toi j’ai grandi, je suis un Grand Quelqu’un
D’avenir avant toi je n’en avais aucun
Et je suis très heureux d’avoir pu partager
Ces ventes audacieuses jamais espérées
Qui ont fait progresser mon peuple autant que moi
Et qui feront changer les choses pas à pas.
Ce n’est donc pas à toi que je dirai combien
Lire est un acte fort et comparable à rien.
Il fait grandir en nous l’intelligence humaine
Et nous aide à penser n’importe quel domaine.
Grâce aux livres j’ai pu et grâce aux magazines
M’abreuver à cette eau si belle et cristalline
Et gagner grandement de quoi vivre ma vie
Sans plus me soucier de seule survie.
Mais j’ai depuis longtemps atteint le bleu du ciel
Et même plus encore, et le différentiel
Me paraît un énorme don, une vraie grâce
Essaye donc un peu de te mettre à ma place
Tu comprendras alors qu’il ne faut demander
Aux dieux que ce qu’ils peuvent sans outrepasser
La raison, la folie, la dinguerie des hommes
Qui veut que toujours plus en argent on consomme.
Je suis heureux ami, alors comprends-le donc
Et brisons là nos chaînes et contrats sans façon.
Nous resterons amis et nous pourrons sans doute
Jouir de la vie en restant à l’écoute
L’un de l’autre ici ou dans ton pays là-bas,
Où je compte venir en visite d’Etat ! »
Il éclata de rire à sa plaisanterie
Mais debout le Français le regardait contrit.
« Je ne suis pas l’ami d’un prétendument frère
Qui abandonne en route son ami libraire
Et le laisse venir de son lointain pays
Pour lui apprendre tard qu’au fond il l’a trahi.
Adieu ! Je ne veux plus jamais affaire ici passer
Ni contrats, ni accords, ni projets préparer
Tu m’as déçu Ousmane et tous les Maliens
Persona non grata seront donc chez les miens ! »
Il écumait de rage alors que son ami
Le regardait avec surprise, abasourdi.
« Voilà donc bien les Blancs, les Français, les libraires,
Toute cette engeance-là est faite de faux frères
Et si notre amitié ne tenait qu’à l’argent
Alors de la casser vraiment il était temps. »
Ces propos très amers, il les garda pour lui
En son cœur ils restèrent mais le rendirent aigri
Il garda ses distances face à l’étranger
Qui de l’argent avait voulu lui faire goûter
Comme d’une boisson à nulle autre pareille
Quand c’était une drogue aussi que l’on surveille.
Libraire rentra furieux et reprit au long cours
Ses perspectives de vente et de « bonheur… un jour ! »
Tandis que le Malien profitait de la vie
De ses plaisirs joyeux, merveilleux à l’envie
Et de ces minuscules et heureuses grâces
Qu’offrent aussi à chacun les bons moments qui passent.

(Fin)
© Kidi Bebey

dimanche 26 mai 2013

Ousmane le Malien (conte moderne III)


Femme le regarda et secoua la tête :
« Serais-tu mon époux devenu donc si bête ?
Tu l’avais dit un jour et tu avais raison
Nous allons grâce à toi payer notre maison,
Vivre mieux et pouvoir acheter nourriture
Appareils ménagers, vêtements et voiture
Vivre en bref comme il faut et desserrer ceinture. »
Mais de finir l’épouse n’eut pas même le temps
Car son mari Ousmane était déjà partant
Il s’était enfermé dans sa chambre au secret
Et levait vers le ciel des yeux pleins de regrets.
« Seigneurs, dit-il alors aux dieux environnants
J’ai gagné je le sais déjà beaucoup d’argent
Permettrez-vous qu’encore argent et or j’amasse
Alors que j’ai reçu déjà toutes ces grâces ? »
Les dieux se concertèrent puis tous en un murmure,
Firent savoir que non,  que nulle forfaiture
N’avait jamais servi à l’enrichissement
D’Ousmane le travailleur, le contraire d’un brigand.
Aussi pouvait-il bien aller encore d’avant.

Rassuré le Malien appela à Paris
Mais il prévint quand même son libraire ami :
«  Ceci mon cher, dit il est mon dernier achat
Car j’ai atteint mon ciel et encore au-delà.
Je n’irai pas plus loin que ce que je pus faire
Car le paradis est déjà pour moi sur Terre. 
J’ai travaillé beaucoup, me suis beaucoup donné
Nonobstant la présence de groupes armés,
J’ai sillonné les routes dans le nord là-bas
Fait rouler mon pick-up jusque dans l’Azawad
Et je ne saurais plus pourquoi ma peau risquer
Pour croiser ça et là des chameaux fatigués ».

L’ami n’écouta point, mais envoya des livres
Qu’Ousmane dédouana, mais il n’était plus ivre
De vendre, vendre encore et gagner des dollars,
Des euros, des billets, des lingots d’or en barre.
Il voulut appeler son ami à Paris
Mais le libraire en l’air était déjà parti
Dans l’avion, sérieux, il refaisait ses comptes
Et croyait que les chiffres lui narraient des contes.
« Je vais convaincre Ousmane de continuer
Nous avons réussi sans personne tuer
Nous sommes les plus riches des vendeurs de livres
Je trinque à ce bonheur de l’argent qui m’enivre. »

Pourtant lorsque les portes de l’aéroport
S’ouvrirent pour laisser les gens aller dehors
Le libraire français ne trouva pas ami
Venu le chercher là au moment pourtant dit.
Ousmane dort déjà, lui dit sa femme Atou,
Quand depuis son mobile il dit : « Où êtes-vous ? »
Il s’en alla piteux rejoindre son hôtel
Et attendit le jour suivant pour les nouvelles.
Il se présenta tôt chez son représentant.
Ousmane était assis tout seul sur un long banc.
« Alors ! lança le Blanc vite sans politesse
Tu es devenu riche et tes bras tu abaisses ?
Au lieu de t’atteler à atteindre partout
Les plus récalcitrants au livre et ses atouts ?
Sais-tu que tu pourrais gagner bien plus encore
Bien au-dessus du poids de ton épouse, en or ?
Et le mien et le tien encore rajoutés
Tu serais un Malien vraiment fortuné ! »

(à suivre)

lundi 20 mai 2013

Ousmane le Malien (conte moderne, II)


Au bout du téléphone à l’autre bout du monde
Le libraire étranger voulait rendre féconde
Encore plus leur affaire et proposait un nombre
de revues à revendre au soleil et à l’ombre.
« S’il a pu vendre autant, il doit en prendre encore
Plus d’exemplaires frais lui fourniront de l’or
Et je pourrai moi-même me féliciter
De l’avoir bien aidé à mieux s’émanciper ».
Il expédia donc à Ousmane le preux
Plus d’exemplaires encore afin que grâce à eux
L’homme pût faire fortune et vivre sans façon
Jusqu’au jour où le ciel par un colimaçon
L’attirerait vers lui pour sa dernière fin
Après qu’Ousmane eût certes mangé à sa faim.
Il vendit encore mieux qu’au temps naguère, jadis
Il en atteignit même le jardin des délices
Paris était scié, acclamait Bamako… 
Avait du mal à croire aux résultats si hauts
(Car il est bien connu que depuis l’Occident
On regarde l’Afrique d’un air condescendant
Et l’on ne pense pas qu’un continent pareil
Pourrait bien contenir des pros qui font merveille
Aussi bien que chez soi – en Europe s’entend.
La leçon vient toujours du guide bienveillant).

Le libraire revint et cette fois s’assit
Prit le temps de parler, de rire et s’ébahit
De la beauté des lieux, des gens et de leur âme
Qu’il n’avait pas encore remarqués, cet infâme.
Ousmane le reçut en bon ambassadeur.
De sa culture il fit éloge de tout cœur
Il montra le ngoni, fit manger le maffé
Montra les rues, les cours, les tissus, le marché
Emmena même l’hôte jusque dans les falaises
Où vivent les Dogons heureusement à l’aise.
L’Européen ému dit qu’un jour il voudrait
Voir aussi l’Africain en son pays français.
« Mais en attendant donc ce voyage à venir
Achète-moi encore des magazines à lire.
Je suis sûr qu’ils vont plaire à ceux que tu convaincs
Je parie même qu’il t’en manquera demain. »
Il disait vrai sans doute car Ousmane eut tôt fait
De vendre encore bien son papier tout frais
Et se retrouva riche en un temps si record
Qu’il regarda sa femme et lui dit son remord.
« J’en avais pris cinq-cents et par un prompt renfort
J’ai écoulé des mille et des mille et encore
Qu’allons nous faire, ma chère, de tant de bonnes grâces,
Quelle décision prendrais-tu à ma place ? »

(à suivre...)

jeudi 16 mai 2013

"Ousmane le Malien" (conte, 1er épisode)


Ousmane le Malien était homme avisé
D’intelligence aiguë il avait hérité.
Très grand observateur il avait remarqué
– et en réalité il fallait le noter –
Que dans son beau pays peu d’hommes étaient lecteurs.
« Je vois en cette absence de livres chez mes frères
Un signe qu’un beau jour tout viendra en son heure
Et que je pourrai mettre sur les étagères
de plus en plus d’ouvrages et de grands auteurs ».
Ainsi parlait Ousmane en son for intérieur
Car il se souvenait qu’en des temps antérieurs
Son aïeule déjà, grand-mère visionnaire,
Lui avait raconté comment en une autre ère
Un marchand de chaussures et de souliers
Avait pointé du doigt ceux qui allaient nus pieds
et prétendaient marcher ainsi sans sourciller
De Bamako à Kayes, Tombouctou et Djenné.
Jusqu’au jour où le grand vendeur leur apporta
Des souliers qu’ils mirent bien vite à leurs pas.

Ousmane attendait donc et très bien lui en prit
Car un beau jour un homme arriva qui lui dit :
« Je viens du bout des mers, au-delà l’océan,
J’ai des livres en pagaille, mais je n’ai pas le temps ». 
Ousmane lui sourit déjà tout réjoui
De ce nouveau commerce qu’il avait prédit.
« Du temps nous en avons ici, Sieur étranger
Et je vais m’atteler à bien l’utiliser.
Je vais vendre tes livres et toutes tes revues
Et l’on verra qu’ici les bons textes sont lus ».
Point de palabre n’eut, contrat prompt fut signé
Et voilà notre Ousmane parti en guerrier
Faire entendre partout la parole éditée
De grands littérateurs et proseurs avisés.
Des journaux il vendit et des romans encore
Il travailla beaucoup comme en un corps à corps
Réussit à convaincre ses contemporains
Parents, enfants, aïeux et encore cousins
Que lire est important bien au-delà des bancs
Pour savoir de quoi parlent les gouvernements.
« Aucun peuple, dit-il ne baisse plus la tête
à partir du moment où il sait tenir tête
au monarque qui cherche à toujours le tenir
sous le joug d’un pouvoir qui n’a pas d’avenir.
Lisez mes frères ! Lisez et n’arrêtez de lire
À aucun prix car c’est promesse d’avenir.
Apprenez grâce aux livres à dire enfin le “non !”
Qu’on vous a refusé en vous faisant leçon. »
Et Ousmane vendit des revues et des livres
Et encore illustrés et autres magazines
Il vendit tant et bien qu’un beau matin de livres
Il ne resta plus rien. Il dut téléphoner :
« Envoyez moi encore de votre beau papier
Car il plaît à mon peuple dans son entier
Et si j’ai pu vendre ces pages à des parents
Je devrais réussir à toucher les enfants »....
(à suivre)